Tard sur le Livradois...

Mon cher Cousin,

Le joli mois de mai s’en est allé, nous sommes presque en été…
Dans notre Livradois-Forez, le soleil se meurt d’étrange manière, commençant par égrener son ombre dans le fracas des éclairs. On aperçoit au loin les collines s’embrumer.
L’arc-en-ciel est souterrain ici, seuls les ivrognes peuvent le voir. Les escoutois comme moi n’ont pas peur des grognements du tonnerre. Les hommes non plus, à ce qu’ils disent.
Les petits garçons ont peur eux et ils le disent tout bas, dans un clignement d’œil, un regard posé vers le père qui lui, bien sûr, n’a pas peur. Les craintes des enfants sont comme celles des farfadets qui n’existent que dans les circonvolutions des cerveaux d’aliénés, c’est bien connu…
La cime des arbres se balance. Une vague verte, immense, ondule dans cet océan végétal perdu entre ciel et terre.
Le dessus du monde semble pleurer toutes ses larmes. Ainsi s’expliquent tous ces filaments de rivières qui courent la campagne comme le système nerveux irrigue le cœur des êtres.
Bientôt les étoiles viendront. Avec elles, la vraie nuit, noire comme le pelage des bêtes.
Dans le Livradois-Forez, les hommes au comptoir boivent debout, en se racontant des histoires d’hommes ou de pompiers -ce qui est sans doute la même chose- devant une dame aux cheveux gris qui opine du chef comme ces animaux de fantaisie que l’on plaçait à l’arrière des voitures du temps où l’on prenait le temps de regarder l’auto qui précédait.
Dans le bar, le lavabo – un évier en émail blanc- est à la vue de tous. On se lave devant les autres. L’ancien maire battu aux élections l’année dernière parle. Quelques voix, il lui a manqué seulement quelques voix ! Pourquoi une arithmétique si tranchante est-elle venue mettre un terme à tant d’années de reconnaissance ? C’est injuste mais il l’avale comme il avale son rouge limonade.
C’est comme la voiture des pompiers. Pourquoi la clef avait-elle disparu ? A quoi peut bien servir une voiture de pompiers sans clef ?
Les petits garçons ont des voitures de pompiers sans clef. C’est pour ça qu’ils en jouent souvent. Mais ils ne sont ni maire, ni pompier et puis, ils sont petits.
Dans ce pays, les maisons sont en pierre. Ou en pisé. Ou en pierre du pauvre et en pisé. En vraies pierres posées l’une sur l’autre dans une anarchie de façade, mais les arêtes des maisons, construites par les maçons de la Creuse, sont aussi droites que des I. Parfois, l’intelligence de l’homme les a parées de morceaux de bois. On dirait qu’elles ont le ventre ouvert. Le vent passe sous ces haut-vents d’un autre temps.
La beauté demeure. Tu serais bien ici.
Il existe aussi des maisons tout en bois. D’aujourd’hui. Des maisons transparentes. Elles sont habitées par des fous qui avaient oublié de vivre. Ils ont la barbe grise ou de jolies moustaches, des bretelles pour certains, une tendresse moqueuse… Quand on les voit, on a envie de poser sa tête sur leur poitrine tendre et d’attendre. D’attendre la fin de la nuit. Comme cette nuit du mois de juin qui vient de tomber sur ma main.

Mon cher cousin, sache que tu es le bienvenu. Je t’embrasse.
Ton dévoué cousin du Livradois-Forez.

Il est tard sur le Livradois-Forez.. L’escoutois ne dort pas. Il pense à son cousin parti à Paris… et voilà qu’il se laisse aller à l’écriture. Une chronique de Jean-Luc Gironde.