Le faiseur de viroles

Dès l’époque romaine et jusqu’au X° siècle, la virole est une pièce métallique rudimentaire dont la seule fonction consiste à consolider l’emmanchement pour compenser l’effort de la soie dans le manche du couteau.

Vers les X°-XII° siècles, la virole commence à être l’objet de recherches, et l’on voit apparaître les premiers décors. Oute sa fonction technique, la virole joue désormais un rôle esthétique, qui ne ce cesse de se développer jusqu’à nos jours.

Les fabricants de viroles

A l’origine, les pièces sont confectionnées par les couteliers eux-mêmes.

Au XII° siècle, il existe une corporation de "faiseurs de viroles", au même titre qu’une corporation de "faiseurs de manches" - contradiction apparente avec le principe des corporations qui veut qu’un objet soit "commencé et fini par le même ouvrier".
Avec l’évolution des techniques de fabrication, vont apparaître, à la fin du XVIII° siècle et au début du XIX° siècle, les premières unités industrielles spécialisées dans la fabrication des mécanique des pièces. Ces unités sont principalement concentrées à Paris dans le quatier du Temple, et à Thiers.

En 1934, le Guide Louis répertoire des fabricants de coutellerie, ne mentionne pas moins de neuf fabricants de viroles pour le seul centre de production de Thiers !

Aujourd’hui, après le rachat en 1984 des Ets Barthe de Paris par Thiers-Viroles, Thiers demeure le seul lieu de fabrication de viroles "riches" par estampage, à partir des outillages du XIX° siècle.

Thiers-Viroles fabrique des viroles à patir des collections des Maison Huet (Barthe successeur) et Georges Prot. Elles détient plusieurs centaines d’outillages, en parfait état, représentant plus de cent ans de création coutelière.

Outre les outillages pour la fabrication par estampage des viroles (riches), des culots et des embases pour les couverts à salade, l’examen méthodique d’autres outils de la Maison Huet, installée à Paris (rue de Bretagne), nous révèle la diversité des fabrications complémentaires :

  • manches coquilles pour orfèvrerie de table,
  • manche pour tire-bottines,
  • couvercles de boîtes à savon,
  • manches pour articles de brosserie de luxe et nécessaires à couture
  • ainsi qu’une importante collection de manches pour les sceaux à cacheter et les porte-plume. Tous ces outillages reprennent, en ornementation, les mêmes motifs que ceux choisis pour les viroles.

Techniques de fabrication

C’est l’utilistion quasi exclusive du maillechort, combinée avec les techniques de l’estampage, qui, au XIX° siècle, transforme les méthodes de fabrication des viroles, restées identiques depuis leurs origines.
Jean-Jacques Peret, prévôt des couteliers de Paris, dans son ouvrage L’Art du Coutelier, en 1772, consacre un chapitre et une planche d’illustrations à la fabrication des viroles. On y apprend que les viroles sont principalement réalisées en cuivre, en argent et en or. A partir d’une bande de métal, plus ou moins ouvragée, appelée bâte, l’ouvrier réalise une brasure à la flamme, après avoir procédé à un assemblage avec un fil à lier. Il soude en appliquant un paillon de soudure à la jonction. Le culot, plus généralement appelé cuvette, est confectionné en soudant une pièce découpée de métal, parfaitement ajustée, sur une des ouvertures de la virole.
Les éléments du décor réalisés à la lime ou au burin sont effectués soit sur la bâte avant brasage, soit sur la pièce terminée.

En 1764, Gavet, coutelier à Paris, a, le premier, l’idée de frapper les manches d’argent au balancier ; c’est l’introduction de l’estampage dans la coutellerie. L’application de cette technique dans le domaine des viroles date de 1854. Denis Luneteau et Paul Girardin, graveurs-estampeurs à Paris, 83 rue du Temple, déposent, le 15 avril 1854, au ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, un brevet d’invention du type de virole sans soudure dans la coutellerie, le caractère des modèles - ovales, carrés ou de toute autre section géométrique - étant obtenu par estampage. Cette invention permet de réaliser à moindre coût des pièces avec des motifs en relief, en grande série.
Vont alors apparaître des entreprises spécialisé’es, auxquelles nous devons les merveilleuses planches-catalogues qui présentent l’ensemble de leurs productions.

D’autres inventions améliorent les techniques de fabrication durant un siècle. Le 19 juin 1873, Narcisse Huet, tourneur-mécanicien, demeurant à Paris, 169 rue du Temple, dépose au ministère de l’agriculture et du commerce un brevet d’invention pour "l’outillage et la fabrication, par un procédé mécanique, de viroles de couteaux de table, dites viroles ovales, vase à moulures ou de toutes autres formes, de toutes grandeurs et ou toutes matières, sans assemblage ni soudure".

Aujourd’hui, les pièces sont réalisées par moletage, par estampage (simultané ou non), par emboutissage. Si les procédés de fabrication sont les mêmes, les améliorations apportées dans différents domaines - emboutissage, surfaçage, brasage et traitement de surface - permettent d’obtenir des articles de grande qualité.

L’ornementation

Jusqu’à la fin du XVII° siècle, les viroles sont très souvent de forme ronde. Au XVIII° siècle, elles deviennent ovales, et, au début du XIX°, plates "demi-française" ; enfin, vers 1830, elles redeviennent ovales (orfèvre).

Les motifs recensés pour le décor des viroles "riches" rappellent les styles des différentes époques : palmette (Louis XIV), ruban croisé (Louis XVI), etc.

On retrouve des thèmes utilisés en architecture : feuille d’eau, feuille d’acanthe, torse, etc. Les motifs floraux apparaissent vers 1890 avec les prémices de l’Art Nouveau : orchidée, violette, nénuphar, cobéa, etc.

Il convient de noter la quasi-absence de motifs animaliers - à l’exception de quelques têtes de lion - et de représentations humaines, hormis certains modèles de style Renaissance qui représentent des figures grotesques ou des têtes d’anges, voire des personnages de la mythologie comme Bacchus.

Il existe également des viroles de style orientaliste évoquant la Chine et la Perse.

Vers 1925, le mouvement Art Déco influence les créateurs, qui proposent des viroles à motifs géométriques. Les pièces prennent alors des formes originales à six ou h uit pans.
En 1930, la Société Marty-Prot crée un modèle de virole à chevron, avec application d’émaux de couleurs et utilise la technique du cloisonnement sur ce modèle de section rectangulaire.

La tradition au service de la qualité

Le marché de la virole décorée et fabriquée par estampage connaît une activité en progression constante. Cette fabrication permet de proposer des pièces à des prix inférieurs à ceux pratiqués en fonderie avec la technique de la cire perdue
La virole décorée ne redoute pas la concurrence des fabrications de pièces réalisées en fonderie sous pression d’alliages à forte teneur en zinc. Cette dernière technique, outre les problèmes liés à l’adhérence du traitement pour garantir l’alimentarité, ne permet pas de produire des décors aussi précvis et aussi variés.
A l’opposé de cette fabrication bon marché - et de bas de gamme -, les fabricants de viroles "riches" perpétuent la tradition des orfèvres couteliers du Moyen-Âge et insculpent leur poinçon de maître sur les ouvrages en argent.
Le succès des dernières nouveautés réalisées en collaboration avec des esthéticiens industriels, et les nominations en catégorie coutellerie au premier concours "Arts de la Table" organisé par le Conseil National des Arts Culinaires, le Ministère de l’industrie et l’Association Française pour les Arts de la Table Jean Troisgros sont là, si besoin était, pour prouver l’excellence de cette tradition.

Extrait de la publication ’Métiers d’Art - La Coutellerie’ éditée en 1992 ; par Daniel GROISNE, alors PDG de Thiers Viroles SA.